Les années se suivent et se ressemble (ou presque)...
"4 ans. 4 ans que la Trans Aubrac me fait de l’œil et tout
particulièrement ces 50 bornes du trail de Capuchadou, un peu comme une
coureuse de remparts à la rentrée des croisades. Entre inscriptions trop
tardives (ah, mais c’est complet depuis longtemps, monsieur !) et
maladie tout droit venue du merveilleux pays des pangolins, je commençais à
croire que St Jornet, le patron des trailers m’avait abandonné pour de bon sur
ce coup-là. Mais c’était sans compter sur une invention magique qui ferait
passer la roue, la bagnole et la télé pour de piètres œuvres d’un enfant de 5
ans : l’agenda électronique. Cette petite invention applicative disponible
sur tous les téléphones cellulaires portatifs façonnés après 1991 permet de se
rappeler qu’il faut s’inscrire à la Trans Aubrac avant la clôture des
inscriptions ! On est en octobre 2022 et je donc suis inscrit au trail du
Capuchadou de la Trans Aubrac grâce à l’agenda Google. Tiens, prends-ça dans
les dents, maudit destin…
Bon. C’est bien de faire le malin avec l’agenda Google en
poche, mais il va falloir s’entraîner un peu, quand même. On lève le pied sur
les pizzas, la barbaque, les gitanes maïs sans filtre, la 8°6 des punks à
chiens de chez Lidl, le PMU à 8h du mat’ pour le petit blanc qui arrache
l’œsophage, le soda des Amériques, le vin de Bossòst et la bonne chère pour se
concentrer sur l’essentiel : boire de l’Isostar et faire fondre le bitume
de Mazères avec mes souliers de course en compagnie de MCP. Voilà le plan. En
gros. War on !
21 avril 2023. J-1. Après 685440 minutes d’entraînement
intensif, je suis chaud comme une baraque à frites pour le trail du Capuchadou.
15h12. Debout sur l’accélérateur de ma voiture, musique de casseurs de
barriques à fond dans l’autoradio cassette reverse et hop, direction le petit
gîte loué pour l’occasion dans l’Aveyron, au Cayrol, histoire d’être frais et pimpant
pour le lendemain. Après un repas digne d’un moine trappiste après 26 ans de
sevrage alcoolique, seulement un dodo me sépare du St Graal. Problème : le
coussin du gîte de 45 cm d’épaisseur est rempli de béton armé. Dormir est
difficile sans avoir le cou plié à 90°. C’est comme si Mérinos, le terrible Dieu
de la literie m’avait pris pour cible, moi, sur les 8 milliards d’êtres humains
sur Terre…. Il est 2h30 du matin et j’ai le cou à moitié bloqué. La divinité du
matelas a donc décidé que j’allais avoir un torticolis le 22 avril par
l’intermédiaire d’un coussin fabriqué spécialement pour moi dans les usines de
Satan, celles qui sentent le souffre de l’enfer. Un torticolis ? Pendant
la nuit ? Pas le 23 avril, pas le 24 avril. Non, le 22 avril, le jour de
la course ! Là, juste comme ça. C’est quoi la probabilité d’avoir un
torticolis dans une année et que ça tombe le jour d’une course
importante ? 0,003 % ! Et c’est pour moi, apparemment.
Jour J. 6h30. Aïe ! J’ai mal au cou… et au dos aussi (sinon,
ce serait pas drôle). Je ne peux pas tourner la tête sans faire tourner
tout mon torse. Je vais prendre mon p’tit déj’ dans le salon du gîte. La
tenancière me dévisage. Elle croit qu’un vieux échappé de l’EHPAD du Myosotis
Fringuant vient de forcer sa porte pour boire du Banania et se gaver de
tartoches à la confiote. En fait, c’est moi. J’ai mal dormi donc j’ai pris 4788
ans en une nuit. Je suis un poil fatigué. L’œil vitreux, le teint jaunâtre, les
pommettes flasques et la démarche raide de C-3PO. La classe, quoi.
9h30. Laguiole. Place du Foirail. Il fait froid, il y a du
vent et la pluie menace. Ce trail risque d’être épique mais l’ambiance est
belle et bien là. Pendant que pas mal de monde s’empresse d’aller toucher les
coucougnettes en bronze de la statue du taureau qui orne la place, la pression
commence à monter parmi les coureurs qui vont bientôt s’élancer. Pour
l’occasion, les trailers du 50km (le Capuchadou) et du 75km (le Mazuc) vont
partir ensemble. Il va donc falloir jouer des coudes, d’autant plus que la
ligne de départ est assez étroite avec deux petites marches. Les minutes s’égrènent
à vitesse grand V comme quand on fait des fractionnés autour du stade avec MCP
et que Nito nous oblige à courir à fond. Ça va vite. Après le sempiternel
décompte des secondes à l’unisson, le coup de sifflet qui annonce le départ est
imminent. The final countdown, comme dirait l’autre…
Bref, au bout de 1,6km j’ai chaud. La veste coupe-vent que
j’ai sur les épaules n’est pas trop respirante. J’attends une belle montée où
tout le monde marche pour enlever mon sac de mon dos, tenir mon portable entre
les dents, retirer la veste, la mettre dans le sac en boule, cherche mes
manchons, les trouver, les mettre, remettre mon sac sur le dos et mettre mon
portable dans son petit fourreau sur le bras. Je n’ai plus de veste coupe-vent,
seulement mon maillot de running (avec mes manchons). Mais il y a du vent. J’ai
un peu froid. Tiens ? Si je remettais ma veste… ? C’est un auto
running gag que je vais me faire environ 72 fois durant la course...
Mis à part ça, ça va. J’ai un petit rythme plutôt constant à
cool et je butine de groupes en groupes en me fixant de petits objectifs
ludiques : dépasser le gars en short bleu, doubler la fille en violet,
passer devant le grand gaillard au maillot à pois avec une perruque fluo (c’est
un ariégeois de Crampagna, pour la petite histoire) etc. Quelques minutes plus
tard, une veste jaune fluo me brûle la rétine. J’ai en ligne de mire, à une
petite cinquantaine de mètres de moi, une dame d’un certain âge qui ne paye pas
de mine mais qui a une bonne allure. Mon nouvel objectif est donc de la
rattraper pour lui montrer comment on court chez MCP. Non, mais ! Cependant,
malgré toutes mes tentatives, impossible d’arriver à sa hauteur ! Que ce
soit sur le long passage plat de la forêt de pins qui borde les magnifiques
étendues de l’Aveyron ou la grande ligne droite caillouteuse qui mène vers la
station de ski de Laguiole, je n’arrive pas à placer le coup de collier qui me
permettrait de la dépasser. Qu’à cela ne tienne !, je compte bien profiter
de la grosse côte de la piste de ski sous les tire-fesses pour faire parler la
poudre. Mais la bougresse est dynamique et malgré ma montée assez efficace, je
n’arrive pas à combler la petite distance qui me sépare d’elle et qui, peu à
peu, s’allonge… (spoiler alert : sur ces 52 kilomètres, elle sera
quasiment toujours dans mon champ de vision à des centaines de mètres ou à
quelques centimètres de moi, mais je ne vais JAMAIS pouvoir la doubler !
Je n’ai jamais vu son visage, ni même son profil ! Elle sera la première
V3H. Une véritable machine, la mémé !).
Passé la première difficulté de la station de ski de Laguiole, le terrain alterne des petites montées casse-guiboles au terrain abimé puis de vastes plateaux qui laissent entrevoir un magnifique paysage, malgré le temps maussade et les nuages bas. Après environ 18 kilomètres d’un parcours vallonné mais plutôt roulant, les trailers du Capuchadou et du Mazuc se séparent à une intersection, ce qui permet de se caler sur un nouveau rythme, un peu plus rapide qu’en début de course. Il va donc falloir faire attention à ce changement et se caler sur une gestion de course intelligente... ou du moins, essayer. Après quelques montées plutôt longues qui donnent du fil à retordre à certains coureurs partis un trop vite, on amorce une petite descente qui fait du bien en direction du seul ravito de ce trail.
21km. Ravito du Buron des Bouals. À l’intérieur de ce joli
bâtiment champêtre en pierre, c’est Byzance ! Que des produits locaux qui
donnent envie : charcuterie artisanale, barres énergétiques faites maison,
fruits, fruits secs, chocolats, biscuits et même du gâteau à la broche ! Mais
bon, pas le temps de faire du tourisme et le fin gourmet, y’a une course sur le
feu. Zou ! Un morceau de saucisson, un Tuc, une soupe de vermicelles
avalée cul-sec (aaaaaaah ! ‘ha ‘ait
‘haud à la ‘ouche !) et c’est parti pour la second partie du trail du
Capuchadou qui va s’avérer un poil plus physique que le début. Car d’entrée de
jeu, il pleut. Beaucoup. On est vers le 23ème kilomètre et de
grosses gouttes tombent drues, ce qui rend le terrain glissant dès lors qu’il y
a pas mal de pierres sur les sentiers étroits. Et la pluie s’intensifie jusqu’à
ce qu’on attaque, quelques minutes plus tard, de nouvelles prairies de l’Aubrac
avec une petite surprise : les tourbières. Tourbière : nf, « zone
humide caractérisée par le fait que la synthèse de la matière organique y est
plus importante que sa dégradation en raison de la saturation en eau »...
Bref, il y a des trous et des interstices VICIEUSEMENT planqués dans l’herbe et
remplis de flotte que tu découvres une fois que t’as foutu le pied dedans,
quand c’est trop tard. Aaaaaah ! C’est l’enfer ! Il pleut fort, on a
les chaussures pleines d’eau et de boue et en plus il y a du brouillard avec du
vent. La totale. On n’y voit pas à cinquante mètres (sauf la veste fluo de
mamie fusée qui est toujours devant). Le passage du 30ème kilomètre
laisse des traces dans les organismes et nombreux sont les trailers qui se
plaignent de crampes à force d’alterner les montées, les descentes en devers et
les passages où il faut escalader des palettes de bois faisant office de
portails. Qui plus est, une ascension assez longue se profile à l’horizon et va
briser plus d’un mollet. Heureusement qu’une descente salvatrice de 5 ou 6
kilomètres permettra de reprendre un second souffle et d’accélérer un peu
jusqu’au point de passage de la Cascade de Lassessat.
Pris dans l’euphorie de la descente, je n’ai pas vu la
cascade… Seulement 3 grosses barriques en plastique avec écrit dessus
« eau potable » qui ont fait mon bonheur. Revigoré par ce délicieux
breuvage et sans doute touché par le mal des montagnes et l’altitude (on est à 1100
mètres, quand même !), mes jambes deviennent folles et décident d’accélérer,
alors même que mon cerveau n’en a pas donné l’ordre. C’est comme si je courais
à côté de moi-même. Du coup, je pars un peu plus vite que prévu en laissant
derrière moi quelques compagnons de route et en me rapprochant tout près de
mamie fusée. Elle doit sentir mon souffle dans son dos et mon pas bien décidé… Mais
très vite la réalité montre le bout de son nez et la veste fluo prend la poudre
d’escampette. En effet, la suite du parcours dans cette forêt inhospitalière où
se mêlent boue, troncs d’arbres renversés, branches, racines et autres pièges
vicieux comme les pierres cachées sous les feuilles mortes a vite fait de
calmer mes ardeurs. Le terrain d’avère plus technique que prévu avec pas mal de
passage casse-gueule. De plus, l’organisation n’a pas fait les choses à moitié
dans la mesure où il nous faudra traverser une rivière en se tenant à une corde
puis sauter un petit mur de pierre pour enfin arriver sur un passage ultra
boueux où il difficile de repérer le chemin. Et comme de bien entendu, une
montée rude dans un petit ru terreux bordé de ronces terminera d’achever cette
petite douceur dans la jungle humide de l’Aubrac. Il reste encore une quinzaine
de kilomètres, c’est pas le moment de flancher. !
Ah oui ! Il pleut toujours. Beaucoup.
Mine de rien, ma gestion de course à la cool s’avère payante
(bien que dépasser mamie fusée jaune fluo devient de plus en plus un doux rêve).
J’ai certes mal au cou, au dos, aux genoux, aux épaules et je suis trempé mais
le moral est là, c’est l’essentiel (ou alors ce sont les derniers soubresauts
du cerveau avant la mort cérébrale, je ne sais pas). Quoiqu’il en soit, j’essaye
de rester constant sur le reste du parcours où on trouve pêle-mêle une sorte de
descente sur un sol jonché de graviers calcaires, un gros passage à travers les
bois sur du monotrace, une montée interminable ainsi qu’une descente en devers
sur de l’herbe glissante et ce, jusqu’au point étape du petit village de St
Martin de Montbon. C’est le dernier pointage et ça laisse entrevoir les prémices
de la fin de ce trail épique.
5h51 de course. Ça tire un peu, quand même... Il reste
environ 10 ou 12 kilomètres. Il faut serrer les dents car la fatigue se fait
sentir. Certains trailers n’ont plus trop la force de relancer la machine et
beaucoup reprennent leur souffle et revigorent les jambes endoloris en marchant.
Las, après une nouvelle montée interminable en épingle (pour faire croire
qu’elle est terminée… mais en fait non), s’ensuit un looooong passage dans des
bois au milieu des pins qui fait mal au moral. On doit être au 44ème
kilomètre et c’est la première fois que je me retrouve tout seul car les
petites grappes de coureurs viennent d’exploser sur la dernière montée. On ne
lâche rien mais ce passage n’est pas évident. De plus, la suite de parcours ne
s’annonce pas folichonne dès lors qu’on arrive au beau milieu d’un décor
apocalyptique fait de boue noire, de monceaux d’arbres et de branches, suite à
un arrachage du bois fait au napalm par la fine fleur de l’ONF. Bref, le
passage est dégueulasse (au sens propre comme au figuré) et invite à accélérer un
peu… dans la mesure du possible. Après une nouvelle forêt à traverser sur un
petit sentier terreux, voilà enfin les premières bâtisses de St Genez d’Olt.
L’arrivée est proche… mais pas tant que ça ! En effet, il y a encore deux
kilomètres à parcourir, notamment le long des berges du Lot qui traverse la
ville jusqu’au gymnase de la Falque, en passant par le camping de la Boissière,
lieu de l’arrivée de la Trans Aubrac. Et autant dire que ces deux kilomètres
sont longs… très longs ! La bière d’après-course fait alors office de
carotte pour le trailer soiffard qui ne manquera pas d’accélérer le pas pour
enfin passer cette ligne d’arrivée sous les vivas d’une foule déchaînée (bon,
pas tant que ça en fait). Malgré le cou bloqué, le dos en vrac, les tendons
des genoux qui font mal et les cuisses dures comme de la pierre… je suis
content !
Et comme le disait si bien Jean-Pierre de La Fontaine dans
ses fables, la morale de cette histoire c’est d’emporter son propre coussin
quand on ne dort pas chez soi !"